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Aux frontières du vaudou et du chamanisme, avec Loray Gwondé

Le monde spirituel est aujourd’hui un vaste marché où les sagesses ancestrales sont trop souvent simplifiées, édulcorées, voire dénaturées pour satisfaire une consommation rapide. Pourtant, des voies authentiques subsistent, portées par des femmes et des hommes dont l’engagement est total.

Dans la recherche de ces voies, nous sommes allé à la rencontre d’un praticien occulte respecté :  Loray Gwondé, Houngan du Vaudou Haïtien et d’Onanya Joni de tradition Shipibo-Conibo. À travers cet entretien, nous chercherons à comprendre la cohérence profonde d’un double parcours initiatique : celui qui mène des temples de Port-au-Prince au cœur de la jungle amazonienne. Comment ces deux voies, que tout semble opposer en apparence, peuvent-elles se rencontrer et s’unir au service de la guérison ?

Première Frontière : Le Vaudou, au-delà du cliché

Notre première question porte sur les origines de son parcours. Comment un Européen en vient-il à pousser la porte d’un péristyle (temple vaudou) en Haïti ?

Loray Gwondé : « Le chemin ne commence jamais par une décision intellectuelle. Il commence par une fêlure, une blessure que le monde ordinaire ne sait pas soigner. Pour moi, ce fut une maladie chronique, un épuisement face auquel la médecine conventionnelle restait impuissante. Le premier pas ne fut pas vers Haïti, mais vers l’Afrique, au Togo, en 2000. Je cherchais un soin, et j’ai trouvé une porte, notamment à travers l’Iboga. De retour en Europe, cette expérience a continué de résonner. La communauté haïtienne, avec une grande bienveillance, m’a alors orienté vers ce qui était pour elle la source : le péristyle de Mariani à Port-au-Prince, dirigé par le regretté Ati National Max Beauvoir. »

Il ne s’agit pas d’un stage de quelques semaines. Loray Gwondé y restera près de trois ans, non comme un élève, mais comme un serviteur. Il apprend par le service, l’humilité, le balai à la main autant que le hochet sacré en vue. Ce long dévouement culmine en 2008 par la consécration : il devient Houngan.

Nous l’interrogeons alors sur l’image si négative du Vaudou en Occident.

Loray Gwondé : « C’est le résultat d’une propagande coloniale et hollywoodienne. On a voulu faire passer une religion de résistance pour de la sorcellerie diabolique. Le mot ‘Vaudou’ lui-même signifie ‘Esprit’. C’est une cosmologie extraordinairement riche, une quête d’équilibre entre l’humain et les forces de la nature, que nous appelons les Lwa. Ce ne sont pas des démons, mais des archétypes, des énergies primordiales : Legba qui ouvre les portes, Danbhalah la couleuvre de vie, Ogou le forgeron… Le syncrétisme avec les saints catholiques n’était d’ailleurs qu’une ruse, un ‘marronnage spirituel’ pour permettre aux esclaves de continuer à servir leurs esprits en secret, sous le couvert des images imposées par les maîtres. Le véritable sceau d’un Lwa, c’est son vèvè (diagramme symbolique), pas une image pieuse. »

Seconde Frontière : Le Chamanisme, l’épreuve de la forêt

Le passage d’une tradition à l’autre semble être un grand écart. Qu’est-ce qui a bien pu le mener des rythmes des tambours Rada et Petro aux silences de l’Amazonie ?

Loray Gwondé : « C’est une fausse distinction. Le Vaudou est un chamanisme. Le Houngan est un ‘médecin-feuille’, il dialogue avec les esprits de la nature pour guérir. En découvrant le travail des curanderos Shipibo au Pérou, je n’ai pas vu une contradiction, mais une autre langue pour dire la même chose. Une autre grammaire du sacré. La résonance fut immédiate et m’a appelé à m’engager avec la même exigence. »

Cette exigence a un nom : la Kikin Sama, la « diète forte ». Alors que le tourisme chamanique promeut une consommation récréative de l’Ayahuasca, Loray Gwondé nous décrit une tout autre réalité.

Loray Gwondé : « L’Ayahuasca n’est qu’un outil, un révélateur. Le véritable enseignement vient des plantes maîtresses, les Rao, que l’on ‘diète’. En 2011, je me suis retiré seul dans la jungle pendant une année complète. C’est une ascèse totale : isolement, restrictions alimentaires draconiennes, célibat. On se vide de l’humain pour que l’esprit de la plante, son Ibo, puisse nous enseigner. C’est lui, et lui seul, qui transmet le savoir, la médecine et les chants de guérison, les Icaros. Un Icaro ne s’invente pas, il se reçoit. C’est un don de l’esprit, une technologie vibratoire. Devenir Onanya, ou ‘Homme de Sagesse’, est à ce prix. C’est un chemin de sacrifice, pas un voyage psychédélique. »

Le Pont entre les Rives : Une pratique unifiée

Notre dernière question est la plus évidente : comment ces deux fleuves si puissants irriguent-ils sa pratique aujourd’hui ?

Loray Gwondé : « Ils coulent de la même source. Les deux traditions sont animistes. Elles partagent la certitude que tout est vivant, conscient, et que le rôle du praticien est de faire le pont entre le monde visible et les intelligences du monde invisible pour restaurer l’harmonie. Quand une personne vient me voir, je n’oppose pas les systèmes. J’écoute le problème avec deux paires d’oreilles. Parfois, la réponse viendra d’un travail avec les Lwa, parfois elle nécessitera un soin par les Icaros et les esprits des plantes. Le plus souvent, les deux approches s’enrichissent. L’intention reste unique : identifier la racine spirituelle d’un déséquilibre et mobiliser les alliés invisibles adéquats pour le résoudre. La psychogénéalogie ou la bioénergétique sont ensuite des outils complémentaires pour ancrer ce travail dans la réalité psychologique et corporelle de la personne. »

En quittant cet entretien, une certitude demeure. Loin des fantasmes et des simplifications, il existe une voie du sacré qui exige le temps, le respect et le don de soi. Le parcours de Loray Gwondé nous rappelle que pour prétendre guérir les autres, il faut d’abord avoir eu le courage de traverser ses propres ténèbres, guidé par la lumière exigeante de traditions millénaires.